Un article de Bruno Maury.

Dans mon dernier article, j’avais essayé de montrer la relation entre mouvement et morphologie. Même si l’explication n’en est pas toujours facile, c’est relativement simple : il s’agit de mécanique, de balanciers, de bielles et de pistons qui, convenablement dimensionnés, avec les angles adéquats permettent à notre Setter Anglais de galoper de la manière qui est la sienne. Nous avions abordé aussi les exceptions qui « confirment la règle » : des chiens bien construits courent mal et des chiens mal construits courent bien ! C’est rageant car il est sécurisant et plus tranquille pour tous, que les règles ne souffrent pas d’exception. Ça nous assurerait, par exemple, qu’un Champion de Conformité au standard soit un grand styliste et que des angulations insuffisantes donnent des galops de pointer. Nous savons tous que ce n’est pas si simple.

Intervient en effet un facteur fondamental : c’est le psychisme, le cerveau, la tête.

Dans le psychisme, on peut séparer deux facteurs : la passion de la chasse, fondamentale, mais commune à tous les chiens de chasse, quelque soit leur race. Je ne m’étendrai pas sur ce pilier de notre race : sans passion de la chasse, pas de chien de chasse. Il faut y ajouter l’intelligence qui, sans doute plus que toute autre qualité fait d’un auxiliaire un ami, un complice. C’est ce coup d’œil, compris par les deux protagonistes qui signifie : elle est là. Il suffit alors de se placer et de remercier d’une caresse ou d’un baiser sur la truffe pour l’oiseau rapporté à la main. Heureusement, passion de la chasse et intelligence n’appartiennent pas exclusivement au Setter Anglais, mais ce qui lui est particulier est « L’esprit Setter Anglais ». De quoi s’agit-il ?

C’est, avant tout une façon d’être qui se manifeste dans la recherche du gibier et dans le contact avec celui-ci.

La recherche du gibier ou quête est effectuée au galop qui est l’allure naturelle du Setter Anglais. Comme nous l’avons vu, les caractéristiques du galop sont, l’ampleur, l’aisance, l’élégance, la rapidité, la souplesse, le « près de terre ». Au-delà de la bonne construction qui approche le chien de ces caractéristiques, la souplesse, l’élégance et aussi une partie du rasant proviennent de l’esprit setter. En dehors de la morphologie osseuse, la souplesse des tendons, participe, à la souplesse, au moelleux du galop. L’esprit setter se manifeste avant tout par une constante recherche de l’émanation. Il sonde le terrain, plaine ou bois dans une quête ondulante. Au bois, l’esprit setter se manifeste par la souplesse du galop, le silence de la recherche du chien qui ne « casse pas du bois », qui saute en douceur les obstacles. La foulée d’un Setter Anglais ne s’entend pas, ne fait pas résonner le sol, le galop est à la fois puissant et léger, le chien foule le sol tel un baiser furtif sur la lèvre des feuilles séchées. Puissance et douceur, un athlète avec des attentions pleines de tendresse, se recevant d’une manière élastique et moelleuse, passant les labours comme s’ils fussent plats, le dos immobile et la tète haute. Le terrain est indifférent, comme le disait J. Cotti Zelati dans un article que j’avais traduit : « Un plaid de cachemire tiré par deux invisibles fils d’acier », merci le poète!

Mais c’est au contact du gibier et de son émanation que l’esprit setter prend forme. Quand il rencontre une émanation, le corps du Setter Anglais se tend, s’abaisse encore plus tandis que la tête se relève pour rester au dessus de la végétation, truffe tendue vers la cible invisible. Le chien soumis à l’émanation ralentit son allure oscillant dans le cône d’émanation jusqu’à remonter directement, à petites foulées -dans un moment que les italiens appellent la « filata »- et vient mourir à l’arrêt comme un « hors bord, moteur coupé » (J-M Ostiz), en Italie on appelle ce moment, accostage. Cette phase est caractérisée par la douceur, la prudence mais aussi par la décision et la sûreté.

La position d’arrêt est naturellement dictée par l’approche : le chien qui remonte poitrine au plus près du sol se fige ainsi, semi-couché, souvent un peu relevé sur les antérieurs et l’arrière train à terre, les yeux agrandis tandis que la bouche « boit l’émanation » à petites goulées. Si le gibier se déplace latéralement, la tête le suit. Par contre si l’oiseau piète devant, le chien se relève un peu et maintient le contact ou peut, en deux foulées plus rapides mais toujours félines, le rebloquer. Les dresseurs n’aiment pas que leurs élèves bougent à l’arrêt : une mise à l’envol est toujours possible et un coulé spontané que le conducteur rejoint, sans qu’il y ait eu, une nouvelle position d’arrêt est assimilée à une mise à l’envol, mais le contact avec le gibier est fondamental. En jugement, on devra faire la différence entre une rectification de l’arrêt qui permet de montrer les, ou l’oiseau à quelques mètres et un chien qui suit des perdreaux ou une bécasse qui va se lever hors de porter de fusil. Que dire, alors du point obtenu, après tous ces « à peu près » au terme d’un long coulé ?

En plaine, la remontée dans le cône d’émanation s’écrit comme sur une page vierge : tout se lit.

Le contact avec l’émanation se traduit par un mouvement de tête dans le vent en direction de l’émanation reçue. Au lacet suivant, si l’émanation est toujours présente, le chien remonte en direction de celle-ci, ralentissant son allure et la remontant plus ou moins directement en fonction de son intensité et de ses capacités olfactives. Spécialement en Grande Quête, de part l’amplitude et la profondeur des lacets, un arrêt de surprise à courte distance, sans être exemplaire, peut être excusable, mais en quête de chasse, un arrêt « plaqué » après avoir eu connaissance, surtout si un coulé est nécessité pour montrer les oiseaux, constitue, de part son éloignement au standard de travail, un point qui, malgré la qualité du parcours ne peut donner droit à l’attribution du CAC. C’est d’autant plus regrettable que ce comportement est le produit du dressage, visant à assurer la sécurité du point et du classement.

Le style d’arrêt est, sans doute la part la plus spectaculaire, parce-que la moins fugitive de ce moment de poésie pure, ce spectacle plein d’émotion, que peut être la prestation d’un grand Setter Anglais : couché ou semis couché, légèrement relevé sur l’avant, assis, la tête bien tendue, debout, mais affaissé sur ses postérieurs si le gibier est loin (c’est une possibilité que prévoit le standard, mais je préfère qu’il arrête de près !). L’attitude doit, en tous les cas, suggérer le félin, le près de terre, la prudence, la douce domination du gibier, soumis par la grâce plus que par la force. La brusquerie est exclue, elle appartient à d’autres races, y compris dans le coulé.

Le patron fait aussi part entière du style du Setter Anglais parce que son caractère spontané est caractéristique des races anglaises et que son expression doit être en tout point semblable, dans ses caractéristiques, à l’arrêt. La capacité à patronner spontanément fait partie des caractéristiques transmissibles, au même titre que le nez, le style de galop ou d’arrêt. A la chasse au bois, il est indispensable, en concours, obligatoire.

Le conducteur arrive au chien, ou presqu’au chien et le gibier vole : que l’envol soit salué au revolver à blanc ou au fusil, le point, au moins dans sa conclusion, est parfait. Sinon, il faut faire couler ! A la chasse, on peut avoir un coulé qui se rapproche plus de ce que les nordiques appellent le « flush » : le chien bourre en ligne directe et met à l’envol, cela se peut faire aussi avec une certaine douceur. C’est une façon de faire qui se justifie parfaitement à la chasse et dont on pourrait, en Gibier Tiré, étudier le bien-fondé. Mais en printemps, la distance chien-conducteur fait souvent qu’un temps important s’écoule entre le moment de l’arrêt et celui où le conducteur rejoint son chien. Les oiseaux, ne volent pas, il faut les montrer. A la voix de son conducteur, le chien se relève et, toujours en contact avec l’émanation coule, à l’avant de son maître, droit en direction de celle-ci. Le règlement dit qu’un long coulé est acceptable s’il est décisif : en Grande Quête c’est vrai car entre le début de l’arrêt et le moment ou le conducteur rejoint son chien, de longues minutes peuvent s’être écoulées. En Quête de Chasse où les distance sont bien inférieures, un long coulé ne peut donner un excellent point que ci celui-ci est bien remonté, en aucun cas, pas après un arrêt « plaqué » sur le lacet, surtout, si une ou deux indications de la tête avaient signalé l’émanation.

La félinité du coulé, sa tension, sa détermination, mais aussi sa prudence font le style du Setter Anglais. La difficulté à couler, le coulé « valise », tout comme la difficulté à remonter les points sont les résultats de difficultés de dressage : difficulté à être sage à l’envol qui entraîne des moyens plus traumatisants qui, eux même, laissent des séquelles, peur de faire voler, rapport forcé mal vécu etc. Les grands chiens sont souvent ceux que l’on dresse avec le moins de contrainte. Il y a aussi quelques dresseurs « sorciers » capables de faire tout oublier à leurs élèves et de les mener, toute contrainte digérée, vers les sommets, mais c’est une autre histoire…

Je vous avais promis de la poésie et je m’aperçois que tout ceci est en définitive bien technique, mais la poésie, c’est vous qui la vivez : il y encore de la rosée sur la bruyère qui mouille les bottes, vos deux Setter Anglais vont devant, seulement localisés par le tintement de la cloche, un rayon de soleil fait briller milles gouttes sur les branches des saules et l’air pique un peu les narines. Subitement, une cloche s’éteint, puis quelques instants après, l’autre, le cœur bat plus fort et commence la recherche. Soudain, dans la fougère, la truffe de Margaux émerge, suivie par un peu de dos et le bout du fouet, le lemon ayant du mal à se distinguer de la végétation roussie par l’automne et puis, sous un houx, une tache blanche et noire, Fleurie, sa mère, au plus près du sol, la tête levée vers la douve. Instant de pur bonheur alors que vous vous rapprochez, sans bruit, filtrant entre les branches, un rayon de soleil vient donner couleur et relief à la scène : le bleu profond des taches de la robe de Fleurie, le chatoiement des fauves de Margaux ; tandis que vous contournez le houx, dans une lente reptation, Fleurie bouge, au ras du sol, comme au ralenti. Dans un bruit assourdissant après tout ce silence, l’envol vient briser le mystère. Un tir… apporte ! Les deux chiens sont partis, Fleurie revient, l’oiseau roux dans la gueule.

« L’aile bleue du bonheur s’est posée sur la lande,
Les setters merveilleux, aux soies en houppelande,
Félins, si près du sol, que presqu’ils disparaissent,
Leur galop, ample et doux, avant qu’ils ne s’affaissent,
Devant la mordorée que le vent nous apporte,
La magie de l’instant a frappé à la porte. »

Bruno Maury.