Revue 110, 1er semestre 2024. Un interview par Laurence Madiot.
Oldarra du Moulin du Liort – Championne d’Europe montagne
L. M. : Nicolas, ta chienne s’est vue titrée lors de des Championnats d’Europe montagne cet été, peux-tu nous donner ton ressenti sur cette victoire, le terrain, par exemple ?
N. C. : Deux terrains nous étaient proposés :
- L’un roulant, quoique très pentu et rendu périlleux par la densité d’oiseaux ;
- L’autre, très sélectif par endroits, jonché de blocs, de rhododendrons jusqu’à la taille, avec une densité d’oiseaux très convenable.
Cette diversité de biotopes d’un jour sur l’autre et la densité d’oiseaux ont rendu le concours appréciable.
Preuve en est, le premier jour, nous verrons une bonne vingtaine d’oiseaux dont beaucoup de coqs. Le second, deux couvées et un seul coq…
L. M. : Tu as participé avec tes chiens à pas mal de Championnats d’Europe, qu’as-tu pensé de ceux-ci ?
N. C. : Avant de juger les championnats de cette année, je tiens à souligner que tous ceux auxquels j’ai participé par le passé ont toujours été parfaitement organisés.
De manière générale, les clubs nationaux s’investissent avec rigueur dans ce type de manifestation.
Fait non négligeable, les épreuves se déroulaient à la maison, nous connaissions les terrains, et presque les oiseaux.
Nous était aussi familière la « bande de passionnés » qui roule sur le circuit montagne français depuis des années, qu’ils soient compétiteurs ou fidèles et dévoués organisateurs.
Certains de ces protagonistes sont à remercier pour leur investissement, leur discrétion, et leur passion, tout simplement :
- Les ayants droit de chasse de Beaufort, tout d’abord, représentés par leur président Francis (guide, qui plus est), qui, de longue date, ouvrent leurs terrains pour nos concours. Cela peut être anodin pour certains, mais sans terrains… pas de concours.
- Ces gens du chien, du pays, de notre communauté de passionnés, Chantal et Jean-Paul Girollet, Karine et Jean Dupont, Martine et Jean-Pierre Gotti (guides qui plus est), ainsi que les bénévoles du Pointer club, qui ont mouillé la chemise, comme toujours.
Une mention toute particulière au duo Chantal et Jean-Paul Girollet, qui a coordonné l’ensemble de la manifestation avec un sérieux exemplaire et un dévouement à la hauteur de l’événement.
En marge, beaucoup de remarques positives de la part des concurrents des autres nations, rompus à l’exercice, notamment sur la quantité d’oiseaux, et surtout sur les efforts d’aménagement des alpages pour favoriser la reproduction de nos galliformes de montagne.
Pour résumer, nous avons bénéficié d’un bienfaisant accueil, d’un excellent guidage et de magnifiques terrains.
Aucun couac à relever… Un grand bravo, et merci à eux tous.
L. M. : Oldarra, durant ces deux journées ?
N. C. : Avant de parler championnats, je vais parler de la sélection.
Lors des épreuves préliminaires, Oldarra s’était classée 4 fois à l’excellent en 5 épreuves sur le Trofeo delle Alpi suisse… Les connaisseurs apprécieront, j’en suis sûr.
Sur le circuit français, m’étant engagé à juger, Thierry Claverie me l’a présentée. Elle fera seulement un CQN, avec, cela dit, de très grands tours.
Changer de mains n’est pas chose aisée, surtout en une semaine. Malgré cette fin de circuit en demi-teinte, Patrick Berthelot, à l’origine de la sélection pour notre club, lui a fait confiance… Je ne peux que le remercier.
1er jour :
Elle sera jugée au 5e couple avec un chien grec par Patrick Berthelot (pdt France) et Nikolas Kassianidis (Chypre).
Conséquence du terrain très pentu et du nombre d’oiseaux, les quatre 1ers couples seront éliminés, notamment la jeune chienne
Soria, conduite par Fréderic Moesch, qui, après avoir pris un super point en deux temps, se fera sortir par une poule isolée.
De gros concurrents passeront à la trappe dans ces conditions, et pas des moindre, Rasty dei Lepini à Umberto d’Allessandris (vainqueur
du Saladini Pilastri) et Mars à Sala pour l’Italie, Dendaberri Xenon et Dendaberri Xei à Jose Miguel Flores (vainqueurs Trofeo Platero
de Montaña) pour l’Espagne.
Au découplé, Oldarra partira très fort, comme à son habitude, mais le temps étant orageux, des montées nuageuses me perturbent
dans la conduite. Difficile de maîtriser le parcours dans le brouillard… Heureusement, elle reste au contact…
J’apprécie le parcours et je sens bien, les minutes s’égrainant, qu’il plaît aux juges.
Vers la 15e minute, je perds la cloche, sans trop savoir si elle est à l’arrêt.
Coup du sort, coup de chance ou coup de maître, nous entendons alors la chienne redémarrer brutalement à une centaine de mètres
pour s’éteindre à nouveau.
À notre arrivée, nous la retrouvons plaquée au pied de trois sapineaux, un coq vole à 5 mètres, je tire et la raccroche. C’est un très beau point, je le sais, mais ce n’est que le 5e couple.
Nous subirons alors un orage dantesque, des trombes d’eau pendant trois heures, tous les chiens se feront éliminer ou finiront sans occasion, les conditions étant injouables.
Classée au CACT le soir, Oldarra bénéficiera sans barrage de l’IT, compte tenu du seul classement au très bon d’un chien espagnol dans l’autre batterie (le barrage de contrôle des qualités de barragiste n’étant pas imposé dans ce type d’épreuve internationale).
Bilan de cette journée, Oldarra a mis un coup pour le titre femelle, c’est sûr…, mais tout reste ouvert, surtout pour les mâles.
2e jour :
Oldarra sera jugée au 3e couple avec un chien espagnol par Davide Ricciardi (pdt Italie) et Sakis Poniréas (Grèce).
Un parcours en deux temps pour elle, une première partie entachée d’une pose d’arrêt servie et d’une sortie de main de son partenaire
de couple, une seconde partie avec un patron sur un arrêt à vide…
Fin du bal.
Mao, Silver à Johan et Soria à Frédéric feront de brillants parcours sans occasion ou conclusion.
Lem pour l’Italie et Dendaberri Xei pour l’Espagne feront des CQN, embarqués par deux couvées.
L’attente est alors longue à la descente, pas de réseau téléphonique sur ces hauteurs… J’apprends, arrivé à ma voiture, que la toute jeune Shana à Abel Bossert fait un CQN et qu’un chien grec fait un 2e excellent, mais aussi, et surtout, que Thierry a fait le CACT avec Nouba (et donc l’IT) dans l’autre batterie.
Drôle de sentiment ressenti à ce moment-là pour les deux amis que
nous sommes.
Oldarra va barrer contre Nouba pour le titre, alors qu’il l’a présentée
une semaine auparavant sur le circuit français.
Vous le croirez ou pas, mais nous avions tous les deux, sur le ton de
la plaisanterie, évoqué cet éventuel cas de figure.
À quelques minutes du barrage, je dois l’avouer, je ne pouvais échelles des valeurs bécasse & montagne, et à son « très bon » aux
Championnats d’Europe l’année passée en Grèce pour des oiseaux sur le côté.
Quelquefois chanceuse, mais bien souvent maudite aussi. L’histoire allait-elle à nouveau se répéter ?
L. M. : Alors, ce barrage ?
N. C. : Le Beaufortin vit du fromage, vit de son pastoralisme, au pied d’un contrefort alpin, les parcelles herbeuses adaptées à l’exercice ne sont pas légion, elles sont réduites et souvent hétérogènes dans leur profil.
Nous avons donc barré sur une petite prairie en pente.
Le barrage fut, il faut le dire, minable, mais Oldarra a quand même fait deux lacets en montant pour gagner… et devenir Championne
d’Europe !!!
L. M. : Beaucoup d’émotions, j’imagine…
N. C. : Le plus fort, partager le titre avec Nouba et Thierry, qui est un ami proche. Il avait fait le max sur le circuit français avec elle, et nous avions covoituré ensemble sur les concours suisses.
Évidemment, j’ai ressenti un immense soulagement pour la chienne, il ne faut pas se le cacher. Nous avons tous nos aspirations, nos
espérances et des plans de carrière pour nos cabots : c’est un véritable bonheur quand les rêves se concrétisent.
Malgré la joie, j’ai très vite ressenti une sorte de détachement.
Comme pour mieux redescendre sur terre, je relativise sa victoire, me disant que durant ces deux jours-là, la fortune m’a finalement pas mal souri et que les planètes se sont bien alignées.
Mais, malgré tout, dans mon for intérieur, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle le méritait, et que tout ne reposait pas non plus sur la chance : trop de vécu avec elle.
L. M. : Tu parles de ton vécu avec elle…
N. C. : Oldarra est certainement la plus complète des chiens que j’ai possédés.
Pour les puristes, ce n’est peut-être pas la styliste rêvée sur ses prises de points, elle pourrait aussi avoir un galop plus rasant, mais sa ligne de dos est excellente, son chanfrein aussi (c’est la première chose que je regarde chez une un chien), son fouet, bien calé, et son entreprise est comme je les aime, toujours en limite de cloche, et, surtout, son endurance lui permet souvent de trouver en pliant la concurrence à la chasse.
Elle a bénéficié d’une jeunesse dorée.
Trois voyages en Laponie avec moi, deux en Serbie/Andalousie avec Xabi, avant ses 3 ans.
Un conditionnement très jeune au concours et à courir sur quasiment tous les terrains et biotopes envisageables, pour éviter les refus (c’est pour moi fondamental).
Puis une vie sur bécasse dans ma montagne basque qui, pour ceux qui la connaisse, est des plus ardue… J’ai habitude de dire que celui qui s’en sort chez moi s’en sortira toujours ailleurs.
Elle n’a eu à ce jour que 4 ou 5 oiseaux dans sa gueule, je tenais à le souligner.
Elle est manifestement le produit d’un bon croisement, entre Jasmine du Roc de la Capelle (cot. 4) et mon Gernika de Buzuntza (cot. 6).
Le reste n’est qu’expérience en compétition, un peu de folie de ma part, je dois l’avouer, pour aller au bout de ces exigeants championnats GS et IT.
Je pense avoir fini, Laurence, et te remercie pour cet interview.
L. M. : Merci, Nicolas, d’avoir répondu à mes questions, et je te renouvelle mes félicitations pour ce championnat, auxquelles j’associe ton grand ami Thierry Claverie pour son titre de vice-championne. Deux setters femelles en haut de la sélection, bravo !
