Revue 94, octobre 2016. Interview par Daniel Provost.

DP : Kuba, cela fait quelques années que tu participes à nos épreuves sur bécasses en couple, et pour la première fois tu viens détrôner les chiens français en remportant la clochette d’or et l’échelle des valeurs des setters anglais. Quels sentiments en retires-tu ?
KB : Il ne me semble pas que «détrôner» soit le terme qui convient et par ailleurs, les chiens qui gagnent ne sont ni «français» ni «espagnols» mais des chiens représentatifs, au meilleur niveau de leurs races respectives : tous les britanniques pour la clochette d’or et les setters anglais pour la clochette d’argent et l’échelle des valeurs.
La race n’est l’apanage d’aucun pays et les chiens n’ont pas de nationalité à proprement parler.
Ceci dit, le fait que ELTXAR ait gagné ces deux trophées est pour moi la réalisation de mon rêve. J’ai toujours pensé qu’avec beaucoup de travail et un peu de chance je pourrais trouver un sujet digne de ces deux trophées mais je ne pensais pas que cela arriverait aussi vite.
ELTXAR a fait de moi l’homme le plus heureux du monde.
DP : Peux-tu nous parler de ta manière et des moyens que tu te donnes pour la préparation de tes
chiens.

KB : Mon planning de préparation commence début octobre avec un premier voyage d’entrainement en Lituanie. J’y emmène les chiens qui ensuite participeront aux concours tant en France qu’en Espagne, ainsi que quelques jeunes susceptibles d’intégrer mon équipe de l’année suivante. Au cours du séjour je travaille les parcours en étant le plus possible attentif pour déceler ce qui, éventuellement, aurait besoin d’être revu ou corrigé.
Ensuite, il faut aux chiens une phase de repos après quoi commence la série des concours.
Une fois terminés les concours, en janvier et février, je reviens en Bretagne pour y examiner et sélectionner les jeunes chiens sur le terrain. Cette phase, à mon avis est la plus importante parce que les bécasses de janvier et février permettent de mieux révéler les qualités propres de chaque chien. Si, au cours de ces différents voyages je trouve un sujet du niveau nécessaire à la compétition, entre avril et octobre je commence à travailler la sagesse et à mettre au point les exigences des concours pour pouvoir les présenter l’année suivante.
Au cours du mois de mars je me rends dans la province de Tolède pour mettre les jeunes chiens en présence de perdrix, ce qui est facilité par la densité d’oiseaux que recèlent ces terrains. Entre avril et juillet je travaille au débourrage des jeunes destinés à la chasse pratique et je m’emploie à corriger les éventuels défauts, et ce, juste avant que ne commencent les concours de montagne.
DP : Parle-nous de ELTXAR. Quelles sont ses principales qualités ? Ses points faibles ? Elle a été précoce. Crois-tu qu’elle peut encore progresser ou ceci va devenir un handicap pour son avenir?
KB : Je vais essayer d’être le plus objectif possible. ELTXAR est la chienne la plus «trouveuse» qu’il m’a été donné de connaitre. Chaque seconde de son parcours est d’une concentration absolue en vue de trouver «sa» bécasse et cela à une vitesse endiablée en allant examiner toutes les «places» possibles et avec un sens de la chasse tout à fait hors du commun. C’est une chienne qui chasse pour et avec le chasseur. Tout, absolument tout, chez cette chienne est naturel, sauf la sagesse à l’envol qu’elle a très facilement compris du fait d’une très grande intelligence.
Il est vrai qu’elle a été très précoce : à trois ans à peine elle a gagné la clochette d’or, l’échelle des valeurs setters anglais en couple (En France et en Espagne) et un championnat d’Europe.
C’est le chien lui même qui indiquera par son comportement quand le moment est venu de passer à une nouvelle étape de sa carrière. Je crois que dans son cas, elle n’a pas encore manifesté toutes ses capacités et il y a bien des aspects qu’elle va encore améliorer. Déjà cette année je l’ai trouvée moins violente et plus souple dans ses allures, plus concentrée dans son travail.
Ses défauts ?… certes elle est un peu petite et, en fin de saison elle semblait un peu sensible ce que j’expliquerais par une probable erreur de ma part dans l’excès d’entrainement puisque ce défaut disparait en chasse pratique.
DP : Au dernier Championnat d’Europe, malgré un beau résultat au premier concours précédant les
épreuves du championnat, avec un CACIT pour Adarmendi Gim et encore un 2ème Exc avec ELTXAR tu n’as pas pu te classer au championnat dans ton pays.
Déçu, sûrement mais plus précisément pourquoi ?

KB : Déçu ? Non. Nous savons tous combien un championnat d’Europe est difficile. J’aurais aimé le gagner même dans un autre pays.
DP : Parle nous des terrains de Soria. Tu m’as dit qu’ils étaient les plus beaux ? Penses tu qu’ils soient vraiment sélectifs?
KB : Soria est mon concours préféré, les terrains sont magnifiques pour vérifier les qualités de nos chiens et le plus souvent pour assister à la prise de point ce qui est rarement le cas dans notre discipline.
Je ne crois pas qu’il existe des terrains qui soient «sélectifs » en eux-mêmes.
Cette année il semble que la météo ne nous a pas été très favorable et ne nous a pas apporté beaucoup de bécasses à Soria, mais je peux t’assurer que d’habitude un grand nombre d’entre elles sont au rendez-vous. C’est bien dommage.
DP : Oui, mais tu sais comme moi que, arrêter une bécasse sur un terrain facile est une chose, mais aller les chercher dans un biotope difficile et compliqué en est une autre.
KB : Le grand chien adapte son travail à tous les biotopes et le vrai bécassier ira chercher les places.
DP : Les Français qui, apparemment, alignaient une belle équipe n’ont pas non plus réussi à classer
un seul chien. Quel est ton avis et plus globalement ce qui est ressenti dans ton pays sur le niveau actuel des chiens français dans cette discipline où ils étaient, il y a quelques années encore, les plus redoutés?

KB : La France est redoutable dans cette discipline mais les autres pays ont considérablement amélioré leur niveau. Je crois vraiment que l’équipe de France était très forte. Dans mon concours ELITE a été fantastique au cours des deux journées et DEROS a été tout près du sommet au cours du deuxième jour. Dans l’autre concours GADGET a réalisé deux journées magnifiques.
Chacun des trois aurait pu rapporter le titre en France. Je crois que le niveau de la France est excellent en général et plus particulièrement chez certains sujets, surtout chez les mâles. Il y a également d’excellentes femelles mais les mâles me semblent meilleurs.
Chaque année je reçois de nombreux appels de chasseurs espagnols à la recherche d’étalons français, ce qui me conforte dans l’idée que les étalons français sont reconnus en Espagne comme étant d’un excellent niveau.
DP : Sans vouloir revenir sur les différents conflits à propos des différentes clochettes je sais que par le biais des réseaux sociaux, ceux-ci ont été commentés au-delà de nos frontières. Quelles sont les répercussions qui t’ont semblé avoir été ressenties en Espagne ou ailleurs ?
KB : Il est vrai que les différents conflits ont produit en Espagne un arrière goût aigre-doux. En France aussi, m’a t’il semblé, et aussi en ce qui concerne les concurrents.
Nous devrions tous nous employer à ce que cela ne se reproduise pas pour le bien de la cynophilie.
DP : Que penses-tu du règlement actuel des clochettes du CSA ? Doit-il être modifié ? Pourquoi ?
KB : J’ai toujours dit que je n’aimais pas le système actuel. Des chiens comme ELTXAR ou DEROS avec 11 et 8 résultats cette année ne finissent même pas dans les dix premiers du classement. Je suis d’avis que la clochette doit se disputer dans les mêmes conditions pour tous les concurrents, et sur les mêmes concours prédéfinis par le CSA et choisis sur des biotopes différents.
DP : Les épreuves en solo n’existent pas en Espagne dans les races britanniques. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
KB : Il m’est difficile de répondre à cette question car je n’ai jamais pratiqué le solo. Je crois que les concours solo sont utiles pour s’assurer qu’un chien possède les qualités pour les fields, mais, à mon avis, les concours solo ne pourront jamais révéler deux aspects importants : le patron et surtout la capacité d’un chien à s’imposer à son concurrent.
DP : Et l’utilisation du beeper ?
KB : Je suis partisan du beeper comme dernière solution pour trouver le chien, faute de quoi beaucoup de points ne sont pas pris en compte. De plus, si les seuls juges avaient le contrôle de la télécommande on saurait très vite si un chien est à l’arrêt ou s’il s’agit dune sortie de main.
De façon très claire : je suis partisan de l’emploi du beeper.
DP : S’inscrire dans nos concours devient de plus en plus difficile, faute de terrains et surtout de juges. Quelle serait pour toi la solution ?
KB : Facile et difficile. Davantage de terrains et plus de juges. Je sais que c’est facile à dire et difficile à réaliser !! Il conviendrait déjà d’être plus sévère dans les jugements afin que des chiens sans qualités n’empêchent pas l’accès aux concours aux chiens qui le méritent. De plus il conviendrait de préparer une fournée de jeunes juges.
Peut-être que certains terrains ne sont pas adaptés à recevoir le même jour continentaux et britanniques en solos et en couples.
Mais ceci est un problème qui regarde les organisations, pas les concurrents.
DP : Comme presque toujours, le gagnant de la clochette d’or gagne également l’échelle de valeur de sa race, que ce soit en continentaux ou en britanniques, et pourtant pour des problèmes de règlements, cette récompense accessible à tous, risque de disparaître. Qu’en penses-tu ?
KB : A mon avis le système de la clochette d’or est juste. Pour cette raison, elle ne peut ni ne doit disparaître.
Il est absolument indispensable qu’existe une clochette spécifique pour les britanniques. Je suis un setter man convaincu mais nous ne pouvons pas ôter aux autres races britanniques la possibilité de la remporter.
DP : Y a t’il un autre sujet que tu souhaiterais aborder ?
KB : Je souhaiterais conclure cette interview en remerciant encore une fois le merveilleux accueil que la France m’a réservé et je ne répèterai jamais assez que je ne me sens jamais étranger parmi vous. Merci.
DP : Merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Tous les avis sont profitables à tous, surtout peut être lorsqu’ils viennent de l’extérieur. Quant à l’accueil qui t’est réservé, sache que c’est ta sportivité, ta convivialité et ta modestie qui font que tes résultats ne sont contestés ni par les juges, ni par les concurrents.

Propos recueilli par Daniel PROVOST