Revue 94, octobre 2016. Interview par Laurence Madiot.

LM : José Miguel, tu viens de gagner, avec maestria, les deux Championnats d’Europe, mâle et femelle sur bécasses. Peux-tu nous parler de tes premières rencontres dans le monde de la cynophilie ?
J-M F : Depuis tout petit, j’ai toujours aimé les chiens, sur toutes mes photos d’enfant, je suis toujours enlacé à un chien. J’ai grandi dans une famille de chasseurs de sanglier bien que mon père ait eu un setter pour chasser les cailles en été et en hiver, nous chassions la bécasse quand, le matin, il avait beaucoup plu, que les traces de sanglier s’effaçaient et que mon père et ses amis décidaient qu’il était très difficile de le chasser. Pour moi, c’était une joie car, depuis mes six ans, l’envol d’une bécasse attirait beaucoup mon attention, je m’en souviens parfaitement.
LM : Et tes premiers chiens ? Toujours des Setters ou pas ?
J-M F : Oui, la race m’a toujours passionné, c’est un chien câlin et bon chasseur ; tomber amoureux de la race ne fut pas bien difficile, simplement, je ne conçois pas la vie, sans les setters, les bois ou la montagne. A 14 ans, j’avais un setter à moi et à 16, je fis ma première portée avec ma chienne Laïca.
J’ai eu un Epagneul Breton et après un pointer, mais très peu de temps.
LM : Depuis quand as-tu commencé à élever ?
J-M F : En 1986, je fais ma première portée et après, sporadiquement, quelques unes jusqu’en 1995, année au cours de laquelle j’ai commencé à élever sous l’affixe Dendaberri.
Je n’ai jamais élevé une autre race que le Setter Anglais. Ma passion pour les Setters pour chasser, principalement, la bécasse me fait chercher les meilleurs et je me souviens que la première fois que je suis sorti d’Espagne, ce fut pour aller, avec Juanjo Aléa (PROPRIETAIRE DE Lider de Playabarri, entre autres), visiter l’affixe de l’Echo de la Forêt ; on disait, en Espagne, que c’était les meilleurs chiens bécassiers d’Europe et j’achetai avec beaucoup de joie et d’espoir un fille de Cow-Boy des Rives de l’Estrigon et des années après, Palma et Rose de l’Echo de la Forêt qui, si je me souviens bien, étaient des filles de Hyper de l’Echo de la Forêt, toutes bonnes chasseuse de bécasses.
Je me rappelle que Daniel Provost ne parlait pas un mot d’espagnol, à cette époque et que Unai, le fils de mon ami Juanjo Aléa (propriétaire de Lider de Playabarri, entre autres) nous servit de traducteur.
Après, jusqu’en 2008, j’ai importé d’Italie plus de 20 chiots, mais, bien que quelques-uns aient été bons, je n’ai pas eu de chance.
Mes premières d’années comme éleveur furent difficiles : bien que mes chiennes chassaient beaucoup, mes essais de reproduire avec elles étaient mauvais, je n’arrivais pas à améliorer ce que j’avais et, dans certains cas, je reculais. Je les croisais avec les meilleurs chiens que l’on me recommandait, principalement italiens, mais aussi quelques français comme Nil de la Plume du Pévèle ou Or du Val d’Autan, en Italie j’ai fait couvrir Radentis Sbranco, Taro dei Felini, Poker delle Orobiche, Azor, Radentis Giuda, Radentis Nomar, Duso della Geminiola, Big Jim, Kapó etc.
Très lentement, j’ai amélioré, et deux sujets m’ont montré le chemin à suivre : Palaziensis Rambo avec qui je fis plusieurs portées, avant de l’acheter et Radentis España, pour moi, grand reproducteur. A partir de 2008 Gibelterik Chester, Radentis Zum et Gibelterik Boris ont été, avec, Dendaberri Jaï les exemplaires que j’ai utilisés.
LM : Tu as acheté beaucoup de chiens de Grande Quête en fin de carrière : Gibelterick Boris, Chester, Radentis Zum, Rambo. Quelles qualités t’ont-ils apportées et quel est celui qui t’a le plus donné ?
JMF : Rambo est mort en 2008 d’une torsion d’estomac et je n’ai pas pu l’utiliser, en reproduction, comme je l’aurais voulu mais c’était, morphologiquement un chien de haut niveau avec une très grande intelligence et il a laissé, chez moi, une descendance vraiment bonne. Je regrette de ne pas l’avoir plus utilisé : sa disparition a été une grande peine. Pour Boris, ce qu’il a laissé, c’est une très grande mentalité, avec des chiens très « prédateurs », bons fouets, structures magnifiques et sens de la chasse hors normes, en général, des galops qui pourraient être plus rasant et quelques sujet qui tendent à arrêter debout.
Gibelterick Chester, sans doute mon préféré, à mon humble avis, un grand reproducteur, sans doute, le chien qui a le plus transmis de caractères propres à sa descendance : caractère magnifique, sens de la chasse, intelligence, galops typiques, mentalité unie à un excellent contact avec le conducteur et surtout une régularité hors du commun en ce qui concerne le succès des portées ; pratiquement, tous les sujets de chaque portée étaient excellents, de plus, dans sa manière d’être, sur le gibier, depuis le toucher d’émanation jusqu’à l’arrêt, lors de la phase finale, je crois que Chester a marqué sa descendance par une méthode qui frise la perfection. Radentis Zum, très semblable à Chester sur le plan généalogique, a été très différent comme reproducteur. Sans doute, des quatre, le meilleur nez, sans conteste, le meilleur galop, mais, chez moi, il n’a pas reproduit aussi bien que son presque jumeau Chester, au regard de la régularité, mais il est sûr que certains sujets, hors du commun, sur lesquels je compte le plus, descendent directement de lui.
Ces 4 sujets ont été les propulseurs d’un grand saut quantitatif des setters Dendaberri, car en plus de transmettre de la qualité à mes chiennes de chasse, il m’ont permis d’avoir de grandes chiennes de chasse appartenant à des amis et connaissances qui, couvertes par eux, ont généré une descendance de haut niveau, que, maintenant, j’utilise et qui sont le fondement du chemin du futur.
LM : Tu as gagné aussi beaucoup en Montagne, avec quels chiens ?
J-M F : Les concours de Montagne dans les Alpes sont le type de concours qui me plaisent le plus. A mon avis, pour les concours de bécasse, nous préparons plus pour les juges que pour la chasse, un concours, avant tout est une action de chasse et la modalité de concours qui ressemble le plus à la chasse est, pour moi, la montagne, de plus ils permettent l’expression aux setters avec de la mentalité et inventivité, plus en accord avec mes projets d’élevage et s’ajuste mieux à mon idéal de setter à la chasse.
En 2015, j’ai participé au Saladini Pilastri en Italie et au trophée des Alpes en Suisse. Les setters Dendaberri ont obtenu, en tout, 30 résultats, Dendaberry Obama a fait 7 classements dont deux CACIT et parmi les 7 chiens espagnols sélectionnés pour les Championnats d’Europe de Montagne en Grèce, 6 venaient de chez moi, Obama, Kina, Old, Pul, Oca et Nostrum, Kina devenant Vice-Championne femelle. En 2014, au Saladini, Kina fut le chien avec le plus de point, gagnant le Saladini femelle et le Trophée Rosa Gallo qui récompense le chien le plus régulier. De plus en2014 et 2015, Dendaberry a gagné le Prix du meilleur éleveur.
En 2016, je veux participer aux concours des Alpes françaises, j’aime beaucoup les terrains et la densité de coqs est très bonne. Je garde un excellent souvenir de l’été 2014 quand au Mont Cenis, Lema obtint le CACIT après un barrage avec Fakira du Bief Joli, au bord du lac, un endroit d’une incomparable beauté.
LM : Depuis quelques années tu viens en France pour les concours de montagne et surtout de bécasses, que penses-tu d’abord de nos terrains ?
J-M F : La France est la référence en Europe pour la chasse à la bécasse et aussi pour les concours, ce sont ceux qui ont la plus longue tradition et la participation est étonnante. J’ai observé, en 2015, un changement énorme : les chiens galopent de mieux en mieux, ils ont une plus grande typicité de race et prennent beaucoup plus de terrain que les années antérieures. De 2011 à 2015, la qualité setter,
la typicité, s’est beaucoup améliorée, je ne sais pas s’ils trouvent plus de bécasses que ceux d’avant, mais ils sont plus près de l’idéal de la race à laquelle ils appartiennent.
Les terrains sont magnifiques : Iraty, Vassivière, Normandie ou Bretagne, tous sont très jolis, mais très différents.
Les terrains, à mon avis, les plus difficiles sont ceux de Bretagne, les bécasses se trouvent dans des endroits très compliqués et je crois que pour pouvoir gagner sur ces terrains et exprimer tout le potentiel du chien, il faut entraîner dans ce biotope ; dans le cas contraire et sans motif apparent, les chiens ne profitent pas de toutes les opportunités, même si ils ont une grande expérience sur la bécasse.
Mais, qui sait, les bois et la zone, en général que me plaisent le plus pour les fields, c’est Vassivière. A l’époque des concours, les feuilles ont une couleur particulière qui unie au doux relief du terrain, font que chaque regard est digne d’une photo.
LM : Et la manière de juger de nos juges français ?
J-M F : On ne peut pas généraliser parce-que tous les juges n’ont pas la même façon de juger ce qui veut dire que je n’ai aucun type de plainte à formuler sur les juges français et je les en remercie. Ceci dit, je crois que, dans les concours de bécasse, nous préparons les chiens pour les juges, pas pour la chasse et je ne conçois pas la chasse à la bécasse de la façon dont certains juges me disent que mon chien doit faire son travail. Quand, dans un compte-rendu, j’entends un juge répéter plusieurs fois le mot « contact », en parlant d’un chien dans la note du CAC du jour, je m’imagine un tour ennuyeux qui, assurément, si je l’avais vu, ne m’aurait pas plu.
Je crois qu’un setter, un bon setter, un chien avec un instinct de prédateur très fort, est, dans les premiers lacets, en contact avec son conducteur, qu’il explore tout le terrain mis à sa disposition et, quand le tour se prolonge, le bois lui envoie des « messages », il lui indique la présence d’une bécasse
dans les parages et de manière autonome, et avec sa propre méthode, il agrandit ses lacets pour la localiser généralement loin, emmené par cette bécasse. Alors, ou bien on ne lui donne pas le point ou si on le lui accorde, c’est pour le situer dans le bas du classement à cause d’une prestation « exagérée », étant les chiens qui, à mon avis, sont les meilleurs parce-qu’ils ont fait un travail de véritables
chasseurs.
Quant aux juges des épreuves de montagne, je crois que les juges français, grands spécialistes, ont, beaucoup d’expérience et une juste sensibilité pour donner la note la plus haute, sans douter et appliquant les mêmes critères aux chiens qui le méritent.
LM : Quelle est ton opinion sur les concours solos ?
J-M F : Ils sont sans doute utiles quand ils se font depuis de nombreuses années, mes connaissances sont limitées et je me trompe, peut-être, mais je pense que les épreuves solo, comme outil de sélection, et amélioration de la race ne sont pas valides. Ils peuvent couvrir le fait que certains chiens, plus par engagement de leur maîtres que pour leur qualité de chien de chasse, obtiennent quelques résultats pour la satisfaction de leur propriétaire et conducteur. En plus, le propriétaire, sur son site Web ou sa page Facebook, informe des résultats, mais en omettant qu’ils ont été donnés en solo pour que nous pensions qu’ils ont été obtenus en couple et obtenir plus de notoriété.
Les épreuves de travail, à leur origine, n’ont d’autre objectif que de voir s’affronter deux chiens de chasse, comparer leur potentiel avec des sujets de même niveau et ainsi sélectionner les meilleurs pour la reproduction. Comme éleveur et conducteur de mes chiens, quand je travaille un chien qui, je pense, doit avoir une carrière sportive c’est parce-que c’est un sujet brillant qui, quand il chasse, passe devant son compagnon, mange son terrain, explore les places avant les autres chiens, je veux le présenter en couples pour démontrer qu’il est supérieur à ses adversaires. Jamais je ne présenterai un chien en solo dans une épreuve sur bécasses.
LM : Tu ne parles pas français, ça te gêne beaucoup pour les inscriptions, pour trouver les lieux des
concours ?

J.M F : C’est très difficile, au jour le jour et souvent, je me sens ridicule dans des situations parce-que je ne sais pas communiquer mais j’ai toujours de la chance car finalement, je rencontre toujours quelqu’un qui m’aide et je dois remercier tous les conducteurs, juges et organisateurs pour l’effort qu’ils font pour me comprendre. Je pense que tous les gens avec qui j’ai des contacts vont apprendre l’espagnol avant moi, le français !
Dans les premiers concours, je ne comprenais ni gauche ni droite et je regardais l’autre concurrent pour me placer à l’opposé quand c’était le moment de lâcher.
Des personnes comme Nicolas Curutchague, Daniel Provost, Bruno Maury, Laurence Madiot ou Guillaume Lambel et d’autres qui toujours m’aident et souvent, je suis obligé de les appeler pour essayer de communiquer ou trouver le lieu de rendez-vous, ce qui, parfois, n’est pas facile.
Je crois que sans l’aide et la bonne volonté de tous, je devrais rentrer à la maison ! Une mention spéciale à tous les dirigeants du CSA : pour tout ce dont j’ai eu besoin, j’ai trouvé de l’aide, merci à tous, du fond du coeur.
LM : Pourquoi seulement bécasses et montagne ?
Tu n’aimerais pas le printemps, la Grande Quête ?

J-M F : J’aime présenter mes propres chiens en concours, mais par-dessus tout, j’aime la chasse. Je présente mes chiens dans les modalités qui ressemblent à une prestation de chasse réelle et toujours avec la garantie qu’il s’agit de gibier 100 % 100 sauvage.
A l’origine, la Grande Quête est la nécessité pour chasser, d’avoir des sujets de grande entreprise, développant leur action sur des terrains très vastes et pauvres en gibier.
Maintenant, la plupart des épreuves, ont lieu sur des terrains avec beaucoup d’oiseaux en classant jusqu’à 10 chiens par batteries.
De plus, avec l’industrialisation de l’agriculture, la perdrix sauvage dans des zones comme Tolède, en Espagne, a pratiquement disparu. Quant aux concours qui se font dans cette zone, on rencontre des perdrix semi-sauvages et leur densité est, si je peux dire, à « la carte ».
Je crois qu’un aspect fondamental d’un bon setter doit être sa capacité à savoir négocier le gibier et celui-ci doit être sauvage à 100 % 100 et si ce n’est pas ainsi, nous ne ferons pas un travail sérieux de sélection.
Maintenant, en Espagne, on fait des concours de Grande Quête en hiver, quelque chose de pratiquement impensable il y a quelques années en arrière, avec des perdrix rouges sauvages, pas encore en couple et sans végétation dans laquelle se cacher.
Je pense que la Grande Quête a été fondamentale pour avoir les setters que nous avons aujourd’hui, mais si nous ne faisons pas attention à ce que la chasse soit totalement sauvage, nous le paierons cher dans le futur.
La Grande Quête sans pureté du gibier ou avec une grande densité comme en Serbie, devrait s’appeler « Classique sur perdrix », en mai et juin, « Classiques sur cailles » et après sur perdrix.
La France est un modèle de Grande Quête d’hiver véritable, avec des perdrix totalement sauvages, de juste densité et en compagnies qui créent un scénario parfait pour que seuls triomphent les meilleurs.
Je continuerai avec mes setters dans les bois et en montagne, chassant avec eux et tentant de les améliorer chaque jour et je les présenterai à des concours sur gibier vraiment naturel, si j’ai des doutes sur le gibier, je n’y irai pas, c’est quelque chose de parfaitement clair pour moi.
LM : Il est sûr que gagner ces deux Championnats, en plus avec deux chiens de chez toi, c’est un rêve que tu as réalisé. Il y a autre chose que tu aimerais gagner ?
J-M F : Gagner c’est la reconnaissance d’un travail, gagner t’aide à surpasser les désillusions qui, surtout comme éleveur, sont nombreuses.
Il est aussi important, non seulement de gagner, mais comment on gagne et dans ce Championnat, ce fut d’une façon très brillante : avec très peu de bécasses, je suis arrivé à ce que, sur les cinq résultats qu’il y a eu, mes chiens en fasse quatre, deux avec Obama, deux avec Oca et dans le cas d’Obama CACIT et CACIT.
Je crois que j’ai de la chance parce-que d’autres chiens du même niveau que les miens auraient pu gagner. La
France et l’Italie présentaient de fortes équipes mais la
chance m’a souri.
Le meilleur prix est la reconnaissance comme éleveur, celui qui signifie que, dans toute l’Europe, l’affixe Dendaberri soit synonyme de qualité me donne une grande satisfaction.
En 2013, Dendaberri Jaï gagnait à Loudéac le titre de Champion d’Europe mâle et en 2014, Obama gagne, au Monténégro, le Championnat d’Europe, ex-aequo avec Gadjet du Gourg d’Enfer de Guillaume Lambel et avec d’autres succès comme Dendaberri Kina qui gagne le Saladini Pilastri femelles et la satisfaction de beaucoup d’amis qui sont contents de chasser avec des chiens que j’ai élevé.
Que mon affixe soit, en ce moment une référence, c’est la meilleure récompense.
Dans le futur, plus que gagner, je veux améliorer, gagner vient après, comme éleveur passionné, je crois que le meilleur setter est celui qui vient de naitre ou celui qui naitra au prochain printemps, je veux apprendre tous les jours et avec l’envie que j’ai de travailler avec mes chiens, l’avenir ne peut être plus rempli d’espérance.
LM : Il y a autre chose que tu veux dire ?
J-M F : Oui, que, pour moi, c’est un grand honneur que la revue d’un Club si important comme celui-ci, me consacre cette interview, tout ce que j’ai dit est une opinion personnelle, fruit de mon expérience et on doit le considérer ainsi ; sûrement si on m’interviewe dans 10 ans mon opinion sera différente sur les mêmes questions et ce sera bien, ce sera que je dis ce que je pense, avec plus d’expérience.
Merci beaucoup.
LM : Merci à toi d’avoir accepté de nous donner tes impressions. Bonne continuation avec tes jeunes chiens.

Laurence MADIOT