Revue 105, décembre 2021. Interview par Hervé Brabant.

Johan Lafont, installé comme dresseur professionnel, élève sous l’affixe du Mas des Vernets. Son chien Mao, né chez lui et en tête de l’échelle des valeurs montagne depuis trois ans, vient d’être sacré vice-champion d’Europe montagne en Espagne.

Entraînement. Tu es en tête des concours montagne depuis 3 ans. Comment articules-tu ta saison, comment procèdes-tu avec les jeunes ?
La saison se compose de trois parties.
La première partie est basée sur le travail d’endurance mais aussi sur la technique pour la finition du dressage sur des points particuliers.
La deuxième partie de la saison est le moment de la mise en présence durant les comptages et permet de vérifier la technique sur le sauvage.
La troisième partie est la dernière : les concours qui commencent mi-août avec un circuit composé pour nous avec la Suisse, l’Italie et la France.
En ce qui concerne les jeunes que l’on a sélectionnés en amont nous faisons deux saisons de chasse sur le maximum de gibiers et biotopes différents mais beaucoup de chasse et pas énormément d’oiseaux après cela on passe à la préparation pour les concours dressage et préparation physique.

Concours. Que penses-tu des trois circuits français, suisse et italien ?
Les trois circuits sont intéressants.
La Suisse, c’est de beaux terrains avec de bonnes densités de tétras, avec des concurrents et des juges français, suisses et italiens.
L’Italie est un grand circuit assez difficile avec beaucoup de concurrents qui sont essentiellement des chasseurs de montagne passionnés. Nous sommes jugés par des juges italiens, il y a un niveau très intéressant. Ces concours sont compliqués par la diversité de biotopes et de gibiers. Avec des concours sur bartavelles, un des gibiers les plus difficiles sur les terrains les plus durs où l’on voit également tous les défauts des chiens, mais aussi sur tétras lyres, lagopèdes et grands tétras !
La France est un très beau circuit où la difficulté est de présenter les chiens sur 7 ou 8 concours successifs, une semaine très intense pour les chiens, sur de beaux terrains avec des densités correctes.

Elevage. Comment penses-tu tes accouplements, comment penses-tu ta sélection ?
Les accouplements sont faits de manière complémentaire, on essaie de déterminer tous les défauts de la femelle car tous les chiens ont des défauts même les très bons ! Et après cela on cherche le sujet mâle qui possède toutes les qualités qui manquent à la femelle et vice-versa pour les défauts du mâle on essaie de trouver la femelle qui a toutes les qualités qui manquent au mâle.
Tout cela en notant les choses que l’on voit sur les sujets avant de les travailler pour se baser vraiment sur les qualités naturelles en étant toujours le plus objectif possible et ça, quand on aime ses chiens, ce n’est pas chose facile !
Logiquement on doit arriver à produire des chiots mieux que leurs parents à chaque génération !

Sélection. Quels sont tes règles pour sélectionner tes chiots ?
On fait notre sélection en plusieurs étapes. D’abord le tri des chiots sur une portée ce qui est très difficile et souvent ingrat.
On passe énormément de temps à les observer pendant les différentes phases, de l’éveil des chiots et la sociabilisation pour essayer de choisir des chiots équilibrés qui montrent des qualités que l’on aime (calmes, qui aiment manger, qui montrent des signes d’intelligence !)
On va regarder la morphologie aux alentours des 2 mois, avant les grandes phases de croissance ou l’on ne voit plus rien.

Ensuite on passe à la mise en présence et à la chasse où se fait le plus important de la sélection qui est sur le terrain de chasse, sur du gibier sauvage ! Et où on va sélectionner des chiens qui arrêtent, patronnent et rapportent naturellement dans la mesure du possible, c’est très important !
Ensuite on regarde les qualités physiques d’endurance en effectuant des sorties de chasse en montagne longues, environ 6 heures, pour avoir des sujets avec potentiellement de grosses capacités physiques.
On les sort sur des biotopes variés et des gibiers variés. De la caille sauvage en plaine à la bartavelle en haute montagne dans les pierriers et les milieux secs et hostiles en passant par les zones boisées au tétras lyre dans les rhododendrons et les genévriers (milieu très sale) et aussi à la bécasse en haute montagne et dans les basses Alpes avec des biotopes encore différent avec des zones de chêne et beaucoup plus sec et méditerranéen et également sur perdreaux rouges sauvages.
Cela permet de voir beaucoup de choses et de qualités ou défauts.
Après cela, si tout se passe bien, on envisage la suite. Sans oublier de faire des contrôles essentiels : dysplasie des hanches, tests ADN, confirmation et dès que possible exposition avant la préparation pour la compétition.

Mao. Comment as-tu sélectionné Mao ? Quelles sont ses qualités particulières ?
Mao a été sélectionné avec son frère de la même manière que l’on procède habituellement.
Il était très chasseur très tôt avec un arrêt, un patron et un rapport naturel mais rien d’exceptionnel jusqu’à 18 mois à part sa capacité à trouver le gibier et à le retrouver.
Mais sa plus grande qualité est sa grande intelligence de chasse !
Après il a montré tout son potentiel durant la chasse avec une prise de terrain qui a explosé. Tout s’est développé, sa passion, son endurance et bien sûr il avait déjà du style et des allures nécessaires pour la suite.
Et c’est un bon chien de canapé !

Suite. Comment vois-tu la suite, ton élevage et tes saisons de concours ?
Pour la suite, avec ma femme nous allons travailler dans le même sens en essayant toujours d’améliorer sans cesse nos chiens et continuer à se faire plaisir à chasser et préparer de futurs bons chiens.
Il est très important d’inclure dans la sélection de nos setters les chiens de montagne pour la chasse pour plusieurs raisons à notre sens.
Déjà les chiens de montagne sont endurants car on ne rentre pas le midi pour changer de chiens. On part en général pour 6 heures de chasse en montagne dans des biotopes extrêmes et variés et sur des gibiers différents (perdrix, bartavelle, tétra lyre, lagopède, bécasse), du gibier sauvage qui connaît son territoire dans des immensités où il n’y a pas de grosses densités d’oiseaux, il faut donc des chiens très très chasseurs avec une grosse mentalité et une certaine intelligence pour lire le terrain.
Les fields montagne sont importants car il faut beaucoup de qualités à ces chiens pour faire face à un grand nombre de difficultés : la chaleur en plein été, des vents jamais fixés, des biotopes et des gibiers variés. Sans compter aussi la présence de cerfs, chevreuils, chamois, marmottes et lièvres qui mettent en difficulté les chiens jusqu’à les éliminer pour certains si la concentration n’est pas assez bonne.
Un autre problème est de passer toute la journée en laisse en montagne au soleil, excité par la voix des autres concurrents, les cloches et les coups de feu qui peuvent épuiser les chiens. Tous les chiens ne sont pas capables de surmonter ça.
Et n’oublions pas l’importance de nos chiens de montagne pour la chasse en général. Pour la pérennisation de la chasse en montagne, il faut de bons chiens pour réaliser de bons comptages afin d’avoir un bon suivi de la reproduction et de faire des études intéressantes sur les galliformes.